Dans les jours à venir, le Parlement du Kosovo devra voter un projet de loi en faveur de la création d’un tribunal spécial. L’Union européenne et les États-Unis font pression sur le Parlement pour que sa création soit approuvée avant les prochaines élections parlementaires. Certains diplomates menacent de forcer le projet par le biais du Conseil de sécurité en cas de refus du Parlement. La majorité des partis ne se sont pas clairement positionnés même si certains signes montrent qu’ils seront favorables. Actuellement, seul le Mouvement Autodétermination! (Lëvizja Vetëvendosje!) a fait savoir qu’il s’opposerait à ce tribunal. Ne voulant pas choisir entre deux maux, le Mouvement Autodétermination! demande une alternative.

Une affaire plus politique que judiciaire
En décembre 2010, un rapport controversé du sénateur suisse Dick Marty était remis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Le rapport pointait du doigt certains membres de l’Armée de Libération du Kosovo (Ushtria Çlirimtare e Kosoves – UÇK) en les accusant de meurtre et de trafic d’organes sur des prisonniers serbes et albanais durant de la guerre au Kosovo. Parmi les noms des suspects figurent ceux de plusieurs dirigeants albanais, dont l’actuel Premier ministre Hashim Thaçi, le maire de la commune de Skenderaj Sami Lushtaku ou encore l’ambassadeur du Kosovo en Albanie Sylejman Selimi.
Si la création du tribunal était acceptée par le Parlement, celui-ci devrait être intégré au système judiciaire du Kosovo. Le tribunal spécial aurait son siège au Kosovo où des procureurs et des juges internationaux devraient se rendre. Bien que le siège serait à Prishtina, certaines auditions se feraient à l’extérieur du pays.
À la suite des guerres d’Yougoslavie, la communauté internationale avait décidé de créer le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie (TPIY) afin de juger les crimes commis durant les guerres de Croatie, de Bosnie et du Kosovo. Après quelques condamnations, acquittements ou encore décès avant jugement, le TPIY fermera ses portes à la fin de cette année sans avoir véritablement terminé son travail. De nombreux crimes demeurent impunis et dans certains cas inexpliqués. La version officielle du massacre de 45 Albanais à Reçak demeure la mise en scène de victimes albanaises par UÇK. Mais si jusqu’ici, la justice était aveugle, dans cette affaire, elle va porter des lunettes. Les accusés sont tous des Albanais.
La création d’un tribunal spécial uniquement pour le Kosovo placerait le pays dans la position d’un agresseur. Cette stratégie menée par la classe politique de Belgrade a pour but de salir la guerre de l’UÇK et du peuple albanais du Kosovo. La guerre, qui était au départ une guerre de libération, devient petit à petit une guerre criminelle. Ainsi, la Serbie légitime ses actions au Kosovo. Passant de la position d’agresseur à celle de victime, elle n’est plus tenue de dédommager le Kosovo et peut exiger de l’OTAN des dédommagements suite à ses frappes aériennes (l’OTAN ayant agi sans l’accord du Conseil de sécurité).
Que faisaient les internationaux ?
En 2008, l’Union européenne envoyait Eulex, une mission chargée d’aider à l’édification d’un état de droit au Kosovo. Mais après 6 ans d’activité, Eulex a failli à sa mission. Jusqu’ici, son travail a été d’utiliser la loi dans le but de stabiliser politiquement le pays à court terme.
Cet échec n’est certainement pas dû à une faute de moyens. Avec un budget annuel de 111 millions d’euros (en 2014), la mission dispose d’un important effectif de plus de 2’000 employés locaux et internationaux (parmi eux des juges, des procureurs et des policiers). De plus, les compétences d’Eulex sont illimitées au Kosovo. Ne reconnaissant pas formellement l’indépendance du Kosovo, Eulex n’est pas tenu de lui rendre des comptes. Il a les compétences de destituer le gouvernement, et même de le mettre sur écoute…
Le scandale de l’affaire « Pronto » est un exemple. La mission avait mis sur écoute de hauts dirigeants du parti de Hashim Thaçi, le Parti Démocratique du Kosovo (PDK). Eulex avait rendu publique certaines de ces écoutes téléphoniques. Dans l’une des écoutes, Adem Grabovci, chef de groupe parlementaire PDK s’était plaint d’avoir toujours un oncle sans emploi. Thaçi s’est défendu n’avoir pas été averti et promis de trouver une solution. Cette divulgation n’avait pas pour but de mettre en danger le gouvernement Thaçi, mais de faire un rappel à l’ordre. Sans doute que l’instauration d’un état de droit ne passe par la lutte contre le népotisme. D’autres enregistrements ont été rendus publics, mais rien de « grave » pour le niveau de conscience politique du Kosovo.
Mais tout le danger dans cette affaire est concentré dans les enregistrements toujours gardés secret par Eulex. Certains craignent que ces enregistrements soient utilisés durant les négociations à Bruxelles entre le Kosovo et la Serbie. Ces négociations, tenues à huis clos, sont présidées par Catherine Ashton, la cheffe de la diplomatie européenne et d’Eulex. Actuellement, le mandat d’Eulex se termine le 14 juin 2014, mais il sera probablement reconduit pour deux ans. Les négociations de normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie ne viennent que de commencer…
De quelle Justice voulons-nous ?
Alors que la Serbie commence les négociations pour son adhésion à l’Union européenne, on trouve actuellement des fosses communes albanaises en Serbie. Dernièrement, la Serbie a retourné au Kosovo 48 corps, dont certains étaient ceux d’enfants. Les corps avaient été cachés dans un aéroport militaire près de Belgrade. En décembre dernier, une autre fosse commune avait été découverte dans le village de Rudnica où entre 250-350 corps attendent d’être identifiés.
À l’heure actuelle, plus de 1’700 albanais sont toujours déclarées disparus depuis le conflit du Kosovo. Malgré les nombreuses rencontres de ces derniers mois entre les Premiers ministres Hashim Thaçi et Ivica Dačić, il semble que le retour des disparus, tant serbes qu’albanais, ne soit pas une priorité. Ce manque de responsabilité est lourd de conséquences pour les proches des disparus. Avec le temps, les recherches seront de plus en plus difficiles à faire, ainsi que le deuil.
Il y a aussi les victimes, celles qui ont échappé à la mort. On dénombre près de 20’000 femmes albanaises qui ont subies des viols durant le conflit. Ces victimes continuent de souffrir des violences subies durant la guerre. Marginalisées, ces femmes ont été abandonnées par leur ex-conjoint et leur famille. De plus, les institutions du Kosovo ont tardé à reconnaître leur statut de victimes de la guerre. Ceux qui ont fait leur beurre sur les valeurs de la guerre n’ont pas pu accepter leur échec dans la défense des femmes civiles.
La guerre du Kosovo a été menée avec des intentions nobles. Elle ne peut pas être salie dans sa totalité par les accusations à l’encontre de Hashim Thaçi, le Premier ministre au double discours. Il est intolérable que les victimes soient mises de côté pour maintenir Hashim Thaçi, l’homme qui dit avoir été loin de la ligne de front aux Occidentaux et avoir combattu en face l’ennemi aux Albanais.
S’il est évident que justice doit être rendue aux Serbes comme aux Albanais, elle ne peut pas être rendue par une mascarade politico-judiciaire. La création d’un tribunal spécial uniquement pour le Kosovo serait, dans les circonstances actuelles, une mesure injuste et l’ultime humiliation pour les victimes de ce conflit. La justice ne doit pas être politisée dans le but servir des intérêts particuliers ou les accords géopolitiques de certains États ou organisation d’États. La stabilisation des Balkans doit passer par une véritable Justice pour tous !

