Barricade, parc de la paix et manifestation, Mitrovicë (Mitrovica) est une ville divisée. Géographiquement, la rivière Iber divise la ville de Mitrovicë en deux. Politiquement, les Albanais vivent au sud de la rivière, les Serbes sont au nord. Entre les deux, un pont qui a du mal à relier les deux parties. Explications.

Une barricade
Après le début des négociations entre le Kosovo et la Serbie, des Serbes avaient construit des barricades, bloquant ainsi les accès aux communes de Leposaviq, Mitrovicë, Zveçan et Zubin Potok pour les véhicules. Installées en juillet 2011, ces barricades formaient des postes frontières à l’intérieur du Kosovo. En septembre 2011, la KFOR (force d’intervention de l’OTAN sur mandatée par l’ONU) avait démantelé plusieurs barricades, après s’être vue refuser l’accès à certaines zones. Ces démantèlements avaient provoqué des échanges de tirs, blessant un soldat allemand de la KFOR. Maintenu depuis juillet 2011, le remblai du pont de Mitrovicë avait résisté jusqu’ici. Haut de 2 mètres, il empêchait la circulation des véhicules.
À l’aube du 18 juin 2014, la barricade a été enlevée à l’aide d’une pelleteuse et de plusieurs camions. Le démantèlement s’est fait dans le calme. La nouvelle a attiré certains politiciens, parmi eux Agim Bahtiri, maire de Mitrovicë sud. S’étant déplacé pour le démantèlement, il avait déclaré devant les caméras : « Depuis que j’ai pris la tête de la commune, j’ai travaillé avec les citoyens du nord et les diplomates pour en arriver là. » Dans l’après-midi, Hashim Thaçi, Premier ministre sortant, a déclaré fièrement : « Le démantèlement de la dernière barricade est un autre exemple de l’application des accords du 19 avril 2013 conclus entre le Kosovo et la Serbie dans le cadre du dialogue de normalisation des relations entre les deux états indépendants. »
En vérité, aucun des deux n’a participé à cette action, même qu’ils ignoraient ce qui se tramait. Le mérite revient aux Serbes du nord du Kosovo (qui formaient « La garde du pont ») et à un citoyen albanais (S. D. de ses initiales). Ce dernier s’était rendu au Monténégro où il a été mis en contact avec l’un des membres de « La garde du pont ». Le groupe, qui avait construit la barricade, avait prévu de l’enlever, déçus par Belgrade. S. D. devait entrer en contact avec les ambassades à Prishtina pour les informer de leur intention.

Un parc de la paix ?
Mais après quelques heures, un autre groupe de Serbes est revenu pour installer des pots de fleurs, devant une police et une KFOR immobiles. À leur tête, il y a Goran Rakic, le maire de Mitrovicë nord et Marko Djuric, conseiller pour le Kosovo du Président de Serbie. Hués par la foule, les hommes de main ont déposé des sapins sur le pont tandis que les hommes politiques ont entamé leur communication.
La chaîne serbe B92 rapporte que le conseiller provincial avait annoncé qu’il s’agissait « d’un acte de cynisme politique visant à faire croire aux citoyens de Serbie que les Serbes de Mitrovicë avaient eux-mêmes enlevé cette barricade. » Il avait ajouté « C’est un mensonge de la pire espèce, quand on sait que tout le travail de démantèlement a été effectué au petit matin par une entreprise de la partie albanaise du sud de Mitrovicë, dont la sécurité était assurée par la KFOR, EULEX (mission européenne) et l’unité spéciale ROSU de la police du Kosovo ». Or aucune entreprise albanaise n’est impliquée, tout comme EULEX et la ROSU. La KFOR n’était là qu’en tant qu’observateur.
Devant les médias occidentaux, on présente l’affaire comme un signe encourageant de détente après les accords signés entre le Kosovo et la Serbie sous l’égide de l’Union européenne. « Nous tendons la main à nos voisins albanais, dans l’espoir qu’ils ne vont pas interpréter notre geste comme un signe de faiblesse et qu’ils ne vont pas abuser de notre confiance » avait déclaré Goran Rakic.
On peut douter des bonnes intentions de Goran Rakic. Mis devant le fait accompli par les Serbes du Kosovo qui en avaient assez d’être utilisé par Belgrade, il empêche l’accès au nord de Mitrovicë en créant un parc provisoire de sapins au milieu d’un pont. Oui, des sapins… Tout un symbole pour rappeler la froideur des relations entre Prishtina et Belgrade. Vendredi 20 juin, la municipalité a engagé une entreprise serbe pour construire de deux gros bacs au milieu de la route.
Manifestation « contre des bacs de fleurs » ?
Après la construction de la nouvelle barricade, un groupe de citoyens albanais avait lancé un appel à manifester pacifiquement. Dimanche à 15h, les manifestants se sont dirigés vers le pont où les attendaient la police du Kosovo et celle d’Eulex et les soldats de la KFOR. Scandant « Nous ne voulons pas de barricade, nous voulons un pont » ou encore « Liberté de circulation », les manifestations se sont rapproché du cordon de sécurité.
La manifestation a dégénéré lorsque l’un des manifestants à tenter de passer le cordon de sécurité. La police a alors répliqué en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant des balles en caoutchouc sur les manifestants. S’en est suivit des jets de pierres et la destruction de deux voitures de polices. À la suite de cette manifestation, plus de 20 personnes ont été blessées et 5 personnes ont été arrêtées.
Malgré les soi-disant succès des négociations, la situation de Mitrovicë ne s’améliore pas. Pourtant, au sud du Kosovo, les deux communautés ne sont pas si divisées. Dans la commune de Kllokot, Albanais et Serbes se côtoient et chacun est libre de circuler.
Entre les dirigeants albanais du Kosovo qui acceptent de n’avoir aucun contrôle sur le nord du Kosovo (la police kosovare n’entre pas dans ces zones contrairement à la gendarmerie de Serbie) et des dirigeants serbes du Kosovo qui ne jouent que les extensions des dirigeants de Belgrade, l’unification de la ville semble lointaine.
« Un parc de la paix sur un pont dans une ville divisée ethniquement ». Si quelqu’un l’avait présenté comme une fiction, l’histoire aurait semblé irréaliste sauf peut-être pour un « Banlieue 13 : Mitrovica ». Mais au Kosovo, rien n’est impossible. Alors que la Constitution a du mal à être appliquée au nord du Kosovo, toute l’attention est fixée sur un article de la Constitution. Au sommet de l’État, on s’interroge sur des questions de pouvoir. Qui du premier parti ou de la coalition d’opposition a la légitimité constitutionnelle pour former le futur gouvernement.

