Dans un contexte de tensions ethniques, la Macédoine semble sur le point de craquer. Après la lecture du verdict du procès « Monstra », la population albanaise de Macédoine est en colère. La faute à un régime d’apartheid, l’absence de perspectives économiques, l’isolement politique et la corruption des élites.
Le monstrueux procès de l’affaire « Monstra »

Le 12 avril 2012, les corps de 5 slaves macédoniens (Aleksandar Nakovski, Cvetancho Acevski, Kire Trickovski, Filip Slavkovski et Borche Stefkovski) avaient été découverts par des pécheurs du lac de Zelezarsko (Hekuranë) près de Skopje (Shkup). Les victimes avaient été abattues d’une balle dans la tête. Les tensions inter-ethniques ont fait que les riverains slaves ont tout de suite pointé du doigt leurs voisins albanais. Quelques jours après la découverte des corps, une importante action policière, dénommée « Monstra », avait été entreprise dans les quartiers albanais de Skopje. L’action s’est conclue par l’arrestation de 20 personnes. Mais seuls 7 des albanais arrêtés (Afrim Ismailoviq, Agim Ismailoviq, Alil Demiri, Fejzi Aziri, Haki Aziri, Rami Sejdini et Sami Luta) sont passés devant les juges. Au moment de l’arrestation, la ministre de l’Intérieur, Mme Gordana Jankullovska avait déclaré lors d’une conférence de presse : « C’est un groupe islamiste radical, ces personnes sont dangereuses. Nous engagerons des accusations pénales pour terrorisme. Parmi les 20 personnes arrêtées, il y a des personnes qui sont directement reliées aux meurtres macabres« . Le Procureur avait rapporté des propos non-confirmés des accusés : « Nous avons tué le jour de Pâques pour que la fête soit sanglante et pour détruire la religion orthodoxe« .
Le procès, qui a duré 2 ans, a connu plusieurs irrégularités. Les déclarations de la ministre de l’Intérieur montrent l’absence du principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir politique (la ministre) intervient aux côtés du pouvoir judiciaire (le procureur). Le tribunal n’a pas reconnu le droit aux accusés de jouir de la présomption d’innocence pourtant garantie par la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) dont est signataire la Macédoine. Les accusés ont été présentés comme les coupables dès leur arrestation. Également interdites par la CEDH, les techniques de tortures ont été employées durant ce procès. L’accusé Haki Aziri a disparu durant 6 jours. À son retour, il avait déclaré avoir été torturé et menacé de mort s’il ne disait pas que Alil Demiri avait commis le quintuple meurtre. La reconstruction du crime s’est faite en l’absence des avocats de la défense. L’arme du crime n’a pas été retrouvée. Le motif de ces meurtres est inconnu. Aucun témoin ne dit avoir vu les accusés sur les lieux du crime. Les enquêteurs n’ont pas pris en compte les alibis fournis par les accusés. Le fait que certains accusés se connaissaient entre eux a également été présenté comme une preuve de leur crime.
Malgré tout cela, le procès s’est conclu par la condamnation de 6 des 7 accusés. Le tribunal a condamné Afrim Ismailoviq (par contumace), Agim Ismailoviq, Alil Demiri (par contumace), Fejzi Aziri, Haki Aziri et Sami Luta à la perpétuité pour terrorisme. La défense a déjà annoncé qu’elle ferait appel et a déclaré que ce procès était monté politiquement. Cette condamnation placerait l’Ancienne République yougoslave de Macédoine sur la liste des pays qui seraient ciblés pour des attentats terroristes islamistes et faciliterait son adhésion à l’OTAN sans régler le problème du nom avec la Grèce.
Les soulèvements populaires
La condamnation des accusés a provoqué des soulèvements massifs au sein de la population albanaise de Macédoine et dans le reste du monde. Plusieurs milliers de manifestants sont sortis dans les rues de Skopje. Les jours suivants, des manifestations se sont déroulées dans plusieurs autres villes de Macédoine telle que Gostivar, Kërçovë, Kumanovë, Strugë et Tetovë. Les manifestants scandaient « Nous ne sommes pas des terroristes » ou « Nous réclamons justice ».
Les manifestants ont demandé la libération des condamnés et des manifestants. Ils ont également désiré les démissions de la ministre de l’Intérieur, du procureur et du juge avec la poursuite judiciaire de ces deux derniers et l’arrêt des discriminations à l’encontre des minorités.
Certaines manifestations ont dégénéré lorsque la police a tenté de disperser les manifestants au moyen de canons à eau et de gaz lacrymogène. Les manifestants ont alors répliqué par des lancers de pierres. D’autres manifestations ont été organisées en Albanie, au Kosovo et dans diverses grandes villes du monde. Les autorités slaves et albanaises ont lancé un appel au calme après quelques jours.
Le fossé s’agrandit
Ce n’est pas tant la condamnation qui dérange, mais cette insécurité juridique dont souffrent les Albanais du Macédoine et les autres minorités. S’ils ne s’étaient pas soulevés au moment de l’arrestation des condamnés, aujourd’hui certains Albanais s’inquiètent de se voir condamner sans preuves concrètes. D’autres refusent d’être traités de terroristes parce qu’ils sont de confession musulmane.

Au pouvoir depuis 2006, les conservateurs de l’Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure – Parti démocratique pour l’Unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE) du Premier-ministre Nikola Gruevski jettent de l’huile sur le feu. Le manque de perspectives économiques et le ralentissement des négociations d’adhésion à l’OTAN et l’UE favorisent la tenue de discours nationalistes. Gruevski se place ainsi comme le défenseur d’une certaine identité macédonienne et de l’orthodoxie, renforçant son pouvoir absolutiste sur la société macédonienne. Le projet pharaonique « Skopje 2014 » est un exemple. Plus de 200 millions d’euros pour l’édification de bâtiments et de statues à la gloire d’une certaine Macédoine. Des statues glorifient l’antique Macédoine d’Alexandre le Grand et celle plus contemporaine des Slaves. VMRO-DPMNE joue aussi la carte religieuse en affrontant le « problème » islamiste. Comme pour les accusés du procès Monstra, les autorités macédoniennes ont affirmé que les manifestants étaient des radicaux religieux. L’État refuse donc aux Albanais le statut de citoyen, préférant les considérer comme des ennemis venus de l’extérieur.
De leurs côtés, les partis albanais perdent en crédibilité. L’Union Démocratique pour l’Intégration (BDI) de Ali Ahmeti évite tout désaccord avec son allié gouvernemental VMRO-DPMNE. BDI garde son calme afin de ne pas gêner le processus d’adhésion à l’UE ou l’OTAN, espérant ainsi récolter les mérites et faire oublier ses erreurs. De leur côté, le Parti Démocratique Albanais (PDSh) dirigé par Menduh Thaçi est en proie à une guerre interne. Depuis le décès du leader historique Arben Xhaferi, Thaçi se dispute la direction du parti avec le maire de la commune de Strugë, Ziadin Sela. S’il n’est pas en train de combattre son rival partisan et Ali Ahmeti, Thaçi gronde les manifestants : « Si vous aviez voté pour moi, je vous aurais défendu« . Les deux partis ont fini par ne plus représenter plus les intérêts des Albanais de Macédoine, préférant se concurrencer pour faire partie du gouvernement. Leurs positions politiques sont tellement proches qu’il y a quelques jours, les deux partis ont sorti deux communiqués quasi-semblables.
Treize ans après les accords de Ohrid, la Macédoine continue de vivre son régime d’apartheid. Ces accords avaient été signés à la fin d’une guerre civile entre forces gouvernementales et guérilla albanaise. Ces accords prévoyaient d’étendre les droits des minorités (l’albanais reconnu en tant que langue officielle au même titre que le bulgare, la décentralisation du pouvoir, une meilleure représentation parlementaire des minorités, etc.) Aujourd’hui, le contraste entre ce qui a été signé et ce qui a été fait est grand. La Macédoine slave orthodoxe tient à montrer sa domination sur la Macédoine albanaise musulmane. La population albanaise est la plus grande minorité. Elle représente environ un tiers de la population.
