Explications sur le match au drone.

« Tuez, tuez les Albanais »
Dès le tirage au sort, il était évident que le match entre ces deux nations allait déraper. La semaine précédant le match, le Président de la Fédération serbe de football (FSS) Tomislav Karadžić avait demandé à ce que seuls les citoyens de la République d’Albanie viennent voir le match. Les habitants de la vallée Preshevë (Preševo), bien que citoyens de la République de Serbie, se sont retrouvés exclus. Par la suite, l’interdiction d’assister au match s’est étendue à tous les Albanais. Cette déclaration, survenue après la vente de tous les billets, a irrité beaucoup d’Albanais. 1’200 billets avaient été vendus dont le prix de certains allait jusqu’à 200 euros. D’autres « mesures de sécurité » avaient été imposées par la FSF et les autorités de Belgrade. Aucun signe national n’était autorisé pour les Albanais. À l’arrivée de la délégation albanaise dans l’aéroport de Belgrade, la délégation albanaise prend la température de l’accueil. Les douaniers ont demandé à fouiller les affaires des joueurs, de l’équipe technique ainsi que celui des journalistes albanais. La tension est montée lorsque l’un des passagers avait dans ses bagages une écharpe aux couleurs de l’Albanie. Durant le trajet jusqu’au stade, le bus des Albanais a été attaqué par des lancers de pierres. Ils savaient déjà qu’ils n’entraient pas dans un stade de football, mais dans une arène de gladiateurs. On veut leur tête !
Avant même le coup d’envoi, les 30’000 spectateurs crient « Ubij, ubij Siptar » (Tuez, tuez les Albanais). L’ombre de Milosevic continue de planer sur la Serbie. D’autres provocations sont dirigées à l’intention des Bosniaques et des Croates. Après les échauffements, les joueurs ont reçu des pièces de monnaie et des briquets. Alors que le jeu avance, des joueurs albanais sont la cible de projectiles et de quelques fumigènes. Certains spectateurs sont monté sur les grillages. Bien que menaçant d’entrer sur la pelouse, les forces de police restent immobiles. Mais c’est l’impressionnante apparition d’un drone qui est vue comme une provocation. Au drone est accroché une banderole sur laquelle était dessinée une Albanie unifiée (ou d’une grande Albanie selon les Serbes) entourée de deux figures politiques albanaises du siècle passé. En dessous, il y avait écrit le mot « autochtone ». Lorsque le drone descendu à basse altitude, la banderole est attrapée par Stefan Mitrović. Sous une atmosphère tendue, les joueurs albanais se précipitent sur lui. C’est à la suite de cela que la situation devient incontrôlable. Les hooligans entrent sur la pelouse, certains joueurs se battent entre eux et alors que la sécurité est censée maintenir l’ordre et la sécurité, certains agents ne peuvent résister à l’envie de donner quelques coups aux joueurs visiteurs. C’est le joueur Aleksandar Kolarov qui doit faire leur travail. Et alors que les joueurs albanais regagnent les vestiaires, ils sont attaqués par les forces de sécurités.
Car la question de la sécurité se pose. 4’000 membres des forces de l’ordre ont été mobilisées pour couvrir cet événement. S’ils ont fait preuve d’un certain zèle à l’égard de la délégation albanaise, nous ne pouvons pas dire qu’ils en ont fait tout autant avec les supporteurs serbes. Certaines images montrent que certains supporteurs avaient avec eux des bidons, des fumigènes ou des banderoles ouvertement racistes. Parmi ces supporteurs, se trouvaient plusieurs hooligans dont Ivan Bogdanov alias Ivan le terrible. Ce dernier s’était rendu célèbre durant le match Italie-Serbie du 12 octobre 2010. Lui et d’autres hooligans avaient été arrêtés pour avoir brûlé un drapeau albanais, tenter de traverser le grillage qui les séparaient des supporteurs italiens. L’hooliganisme serbe a aussi été vu lors d’un match opposant les équipes de Serbie et d’Angleterre de moins de 21. Éliminés dans les arrêts de jeu, les joueurs serbes s’en étaient pris aux joueurs anglais. Des propos racistes et des imitations de singes, venant des tribunes, avaient été entendus. Dans le passé, des heurts avaient eu lieu entre supporteurs lors d’un match de football à Zagreb entre le Dinamo (Croatie) et l’Étoile rouge de Belgrade, dont les sympathisants étaient dirigés par le défunt Zeljko Raznatovic Arkan, devenu par la suite le chef d’un des groupes paramilitaires les plus féroces.
Politique ou pas politique, telle est la question ?
« On ne mêle pas le sport à la politique. » Telle est la politique de la Fédération International de Football Association (FIFA) et l’Union européenne de Football Association (UEFA). Enfin, à peu de chose près. Lorsque les Brésiliens protestent contre l’organisation de la coupe du monde parce qu’ils ont des revendications politiques et sociales, le Président de la FIFA Sepp Blatter leur annonce que l’organisation d’une coupe du monde serait bénéfique pour l’organisateur et leur demande de se calmer le temps d’une coupe du monde. Ce n’est pas de la politique ! Lorsqu’il s’agit de favelas brésiliennes de township sud-africains parce que pour les chantiers au Qatar, on ne dit rien. Dans ce dossier aussi, ce n’est pas de la politique ! Il y a une rencontre entre le Président de la France de l’époque Nicolas Sarkozy, celui de l’UEFA Michel Platini et le Prince Tamin bin Hamad al-Thani. Lorsque messieurs Sarkozy et Platini soutiennent l’attribution de la coupe du monde au Qatar (ce qui renforce le soft-power du Qatar) en échange de quelques contrats, ce n’est pas de la politique ! Ce n’est que du commerce avec une touche de diplomatie. Rappelons aussi que les compétions telles que l’Euro 2016 ou la Coupe du monde se font entre pays. Les pays sont de grandes structures politiques regroupées autour de valeur. Donc que la FIFA et l’UEFA le veulent ou pas, il y a de la politique dans le football. C’est pour cette raison qu’elle refuse l’entrée d’une équipe kosovare.
D’ailleurs, la politique ne s’est pas mêlée de ce match. Même si l’Albanie et la Serbie ont frôlé l’incident diplomatique à plusieurs reprises. À quelques heures du match, l’ambassadeur albanais avait été arrêté par la police serbe avant d’être relâché. Après arrêt définitif du match, les autorités serbes ont exigé de Tirana « une condamnation claire » de l’incident. Belgrade a accusé Tirana d’avoir commis une provocation préméditée. Selon les autorités et les médias serbes, elle serait l’œuvre du frère du Premier ministre albanais. Il est évident que dans les États modernes, c’est les proches des dirigeants qui s’occupent de ce genre de tâche… Le ministre serbe des Affaires étrangères Ivica Dacic a déclaré dans un communiqué « La Serbie attend des responsables albanais une condamnation claire de l’incident (…) comme premier pas nécessaire pour surmonter ce problème ». Pas un mot sur les inscriptions « le Kosovo est serbe ». L’ancien porte-parole de Milosevic, Ivica Dacic se garde bien de se distancer des propos racistes et des appels aux meurtres durant le match. Après tout la provocation reste albanaise.
L’Union européenne (UE) se garde de commenter les problèmes survenus durant le match. Madame Maja Kocijančič, porte-parole de Catherine Ashton (Ministre des Affaires Étrangères de l’UE), a salué le professionnalisme de la sécurité. Madame, avons-nous vu les mêmes images ? Ou bien avons-nous une vision sélective de la situation ou des intérêts opposés ? La Serbie vient de commencer son processus d’adhésion à l’UE, l’Albanie et le Kosovo en sont loin. Ménagez votre futur membre. Lui qui vous sera peut-être utile dans les négociations avec Moscou.
« Say no to racism » ?
Le plus étonnant dans cette affaire, c’est le déni du problème raciste et haineux. 30’000 personnes qui appellent au meurtre et aucun médias ne parle de ce problème. La FIFA lance de vastes campagnes contre le racisme dans les stades, mais pas un mot pour cela. Les Albanais sont traités de singes, mais pas un mot pour cela. Qui protégeaient qui ? Les forces de sécurité s’en sont pris aux joueurs, mais pas un mot pour cela. L’hymne albanais a été sifflé durant toute son interprétation et encore une fois, pas un mot ! Nous nous souvenons tous de l’affaire de la banane de Dani Alves. Faut-il être membre d’un grand club européen pour être protégé ?
Sur le site de la FIFA, il y a marqué : « La FIFA est d’avis que tout individu a le droit de jouer au football – sans discrimination ni préjugé – et elle s’efforce de le garantir que c’est le cas jour après jour. » Et pourtant, la FIFA accuse l’équipe albanaise d’avoir refusé de jouer. Qui veut jouer dans un stade où 30’000 personnes réclament votre tête ?
Pour finir, je reprenderais le propos du défenseur des droits de l’Homme et Directeur du programme pour les Balkans de l’Ouest, Goran Miletic « Le drone vous gêne mais pas les appels aux meurtres ? »
Quelques images…

