Kosovo : La prison aux 10’000 km2

Le 18 décembre, c’est la journée internationale des migrants. C’est aussi l’occasion d’en parler un peu de certains.

Migrimi - Jeton Mikullovci - 18.12.2014
La migration par Jeton Mikullovci –
18.12.2014 – Koha.net

Ils sont des dizaines, voire des centaines a tenté leur chance. Chaque soir, c’est des bus entiers qui se remplissent. Leurs voyageurs espèrent fuir le Kosovo pour ne plus y revenir. Là-bas, ils n’ont plus rien à part peut-être des dettes. Ils ont vendu leurs lopins de terre, hypothéqué leur maison et emprunter un peu d’argent. Parmi eux, il y a de jeunes hommes, mais aussi des familles entières avec des enfants en bas âge. Certains demanderont l’asile en Suisse, en France ou en Allemagne. D’autres espèrent trouver un travail dans le bâtiment, la restauration ou les exploitations agricoles.

Leur expédition ne sera pas de tout repos et ils le savent. Peu importe les heures qu’ils passeront à marcher en pleine nuit, leur bébé dans les bras, à traverser une frontière, ils font tous pour atteindre leur destination. Les moins pauvres d’entre eux, comme tant d’autres, ont vu à la télévision ce qui pouvait les attendre. Les prisons hongroises, les tentes sous les ponts de la ville de Lyon, les nuits dans des petites chambres à 10-15 personnes, rien qui ne les découragera à quitter leur misère. Pas même la peur de la mort. Peut-être qu’ils prendront ce soir le même chemin que ceux qui avaient péri en 2009 en tentant de traverser la frontière serbo-hongroise par bateau. Cette expédition avait fait 16 morts. Parmi les rescapés, un père et ses 2 enfants âgés entre 1 et 3 ans. La mère, âgée de 23 ans, comptait parmi les 16 disparus. Ceux qui quittent le Kosovo ne le font pas de gaieté de cœur. Sans doute faut-il être désespéré pour faire prendre tant de risque à soi-même et à sa famille. Pour eux, ce qu’ils quittent, c’est l’enfer. Un enfer semblable à celui qu’il avait vécu lorsqu’ils étaient enfant. Sauf qu’aujourd’hui, ce n’est plus la guerre qu’ils fuient, c’est la faim ou la pauvreté.

Le Kosovo est un pays jeune. La majorité a moins de 25 ans. Mais c’est aussi un pays pauvre (le plus pauvre d’Europe) avec 50% de chômage. Plus d’un demi-million de personnes « vivent » sous le seuil de pauvreté et 271’000 personnes survivent avec moins d’un euro par jour. Ceux qui arrivent à vivre ont un proche en Occident. Ceux qui vivent ont un proche au gouvernement. Pour les autres, c’est de vielles bottes qui laissent entrer la boue, des maisons quasi-détruites, des journées sans repas et une vie dans la honte. Ce sont ceux-là, qui regarderont les autres partir, n’ayant pas assez de moyens pour payer les passeurs.

Au-dessus de cela, il y a le monde politico-financier de l’un des pays les plus corrompus d’Europe. 21 ministres, 70 vice-ministres qui vivent dans le luxe (véhicules de luxe blindées, immenses villas, vacances avec jet-ski et mariages grandioses pour leurs enfants). Cette classe, qui est adoubée par la communauté internationale, privilégie la stratégie de la peur et du bâton à celle de la lutte contre la corruption et le crime organisé. Lançant des appels à ne pas quitter le territoire illégalement, sous peine d’amoindrir les « chances » de libéralisation des visas, le gouvernement ne fait rien pour leur venir en aide. Pire ! Dernièrement, le nouveau ministre de l’Intérieur Skender Hyseni a menacé les candidats à l’immigration illégale d’une amende de 7’500 euros en cas de retour au Kosovo. Rappelons au passage que ceux qui partent n’ont déjà plus rien…

Il est évident qu’une très grande majorité va faire le trajet pour rien. Ils sont tout à fait conscients d’avoir peu de chance d’arriver ici et s’ils y arrivent encore moins de trouver un emploi. Mais ils le font. Ils misent leurs dernières forces, leurs derniers biens dans un combat perdu. Il y a un dicton albanais qui correspond à cette situation : « Hyp se të vrava, zbrit se të vrava. » (Monte sinon je te tue, descends sinon je te tue.) Impossible de rester, impossible de partir.

Avec tout ça, peut-on encore dire « O sa mirë me qen shqiptar ! » (Qu’il est bon d’être albanais !) ?