Ce mardi, de violents affrontements ont eu lieu entre manifestants et forces de police à Prishtina. Les affrontements ont fait plusieurs dizaines de blessés et plus d’une centaine d’arrestations dont le maire Shpend Ahmeti (arrêté provisoirement) ! Ces manifestations sont survenues à la suite d’une déclaration du ministre des communautés et du retour Aleksandar Jablanovic à propos de l’association « Thirrjet e nënave » (« L’appel des mères » – association de familles de disparus). Jablanovic les avait traitées de « sauvages ». Les manifestants, qui ont demandé le limogeage de Jablanovic, ont également protesté pour le retour du projet loi sur la nationalisation du complexe minier Trepça.

Le cas Jablanovic
Ces incidents survenus à la suite de la déclaration de Aleksandar Jablanovic ministre des Communautés et du Retour (et non du travail) à propos d’une association de mères de victimes du conflit du Kosovo. Celles-ci avaient protesté, avec Lëvizja Vetëvendosje! (Mouvement Autodétermination!), contre la venue de pèlerins serbes à Gjakovë (Đakovica) dont certains étaient accusés d’avoir commis des crimes durant la guerre de 1998-1999. Le ministre Jablanovic n’avait pas alors hésité à qualifier les manifestantes de « sauvages » ce qui avait provoqué la colère de l’opinion publique. Le lendemain, des manifestations ont eu lieu à Gjakovë pour réclamer le départ du ministre.
Après plusieurs jours, sous la pression de la rue et non du Premier ministre Isa Mustafa, le ministre Jablanovic s’était rendu dans l’émission Interaktiv de KTV dans le but de s’excuser. Durant l’interview, il fait plusieurs déclarations intéressantes dont celle où il refuse de reconnaître la République du Kosovo, dont il est l’un des ministre, en jouant sur les mots. Plus tard durant l’interview, il déclare « n’avoir pas voulu blesser les manifestants » et qu’il fût conscient « qu’il y a eu des victimes des deux côtés ». Mais après quelques minutes, il ajoute « Je n’étais pas au courant qu’il y a eu des massacres. J’avais alors 18 ans. » Un double langage que ne manque pas de relever le journaliste et qui met dans l’embarras le ministre. À la déshumanisation des familles des victimes, Aleksandar Jablanovic ajoute le négationnisme des crimes yougoslaves (dont la Serbie est héritière) …
Le cas de Jablanovic relève quelques-uns des problèmes du Kosovo. Aleksandar Jablanovic est devenu ministre du Kosovo à la suite de l’accord de coalition formée par les 3 formations que sont le PDK, la LDK et Liste Serbe. Après avoir été nommé ministre, il a dû quitter son poste de député au parlement serbe. Jablanovic joue, avec la Liste Serbe, le rôle de cheval de Troie. La Liste Serbe est une formation politique qui est directement dirigée par Belgrade. Ne reconnaissant ni la République du Kosovo, ni le fait d’avoir une pièce d’identité kosovare, Jablanovic est pourtant l’une des personnalités les plus puissantes de l’échiquier politique du Kosovo. C’est à ce titre, qu’après s’être rendu à Belgrade qu’il a demandé à ce que le projet de loi sur la nationalisation de Trepça ne soit pas voté au parlement kosovar. Le Premier ministre Isa Mustafa ne peut pas le destituer, car il perdrait le soutien de la Liste Serbe bien utile pour garder son poste de Premier ministre.
Le cas Trepça
Trepça est un vaste complexe minier qui se trouve au nord du Kosovo. On y trouve du plomb, du zinc et de l’argent. À l’époque yougoslave, le complexe Trepça prélevait 75 % des richesses minière en employant 20’000 personnes. Aujourd’hui, il fonctionne à bas régime le temps de régler son statut. Revendiqué par Prishtina et Belgrade, des entreprises étrangères souhaiteraient aussi pouvoir le privatiser pour exploiter les mines.
Trepça est aujourd’hui géré par l’Agence Kosovare des Privatisations (AKP). Cette agence avait été crée par les Nations unies dans le but de pouvoir gérer les entreprises qui étaient revendiquées par Belgrade et Prishtina. Seulement, le gouvernement de Isa Mustafa s’était engagé à prendre le contrôle des mines de Trepca. Le complexe aurait accumulé une dette d’un milliard d’euros. Mais s’il y a autant d’intéressés pour des galeries, c’est que les galeries doivent valoir plus. En effet, la valeur du complexe Trepça est estimée à 100 milliards d’euros, soit l’équivalent d’un siècle de budget pour le Kosovo. Mais, sous la pression des internationaux et la colère de Belgrade (par le biais de la Liste Serbe), le gouvernement du Kosovo a décidé de reculer.
Pour les Albanais du Kosovo, la valeur de Trepça n’est pas uniquement financière. Trepça est un symbole. En 1989, les mineurs albanais avaient fait une grève de la faim. Ils protestaient contre la perte de l’autonomie du Kosovo souhaitée par Belgrade. Pour lutter contre ça, ils sont restés au fond de la mine durant 8 jours. À la fin de la grève, c’est 180 mineurs grévistes qui sortent de terre.
Le comité de grève avait posé 10 conditions pour cesser la grève. L’application de la Constitution de 1974 et la fin de la politique hégémoniste de la Serbie figuraient parmi les revendications. Mais les grévistes demandaient aussi le départ de la classe politique pro-Milosevic. Parmi eux figuraient Ali Shukriu, Husamedin Azemi mais aussi Rrahman Morina le mentor de Isa Mustafa actuel Premier ministre kosovar.
Que ce soit durant l’année 1989 ou aujourd’hui, la lutte pour Trepça reste une lutte pour la souveraineté du Kosovo. Si la Serbie prend une part du complexe, elle prend une partie du Kosovo. Celui qui contrôle le sous-sol contrôle également le sol. Donc être contre Jablanovic (ministre des Communautés et du Retour) et la Liste Serbe et pour Trepça, c’est être pour la souveraineté du Kosovo et contre le retour de la Serbie comme état !
