Chez les Albanais, il y a une règle qui dit : « Shtëpia e shqiptarit është e zotit dhe e mikut » (La maison de l’Albanais est celle de Dieu et de l’ami). Cette vieille règle impose à chaque Albanais d’être particulièrement accueillant envers tout individu. Cette règle peut parfois troubler certains étrangers qui se croient élever au rang de Dieu. C’est par exemple le cas des ambassadeurs envoyés au Kosovo.
Si en Suisse, il est rare de voir un ambassadeur intervenir dans le débat public, c’est tout le contraire au Kosovo. Le Kosovo est certainement le pays des ambassadeurs. Là-bas, les ambassadeurs américain, britannique et français jouissent d’une attention toute particulière. Pas une semaine ne se passe sans que l’on voit, par exemple, l’ambassadrice américaine Tracey Ann Jacobson. Chacune de ses interventions sont relayées et débattues au sein des médias locaux et dans les partis politiques. Cette attention fait que, parfois, l’ambassadrice se relâche en sortant des interventions telles que « Mos e dhini punen ! » (littéralement : « Ne chiez pas sur le travail ! ») Ce climat propice aux ambassadeurs n’est pas une caractéristique de l’ambassadrice des États-Unis. L’ancien ambassadeur français Jean-François Fitou s’est aussi permis un laissé-allé. Dans une conférence de presse improvisée, l’ancien représentant français s’est attaqué physiquement à l’un de ses traducteurs devant les caméras. Ces attitudes, considérées comme inadmissibles dans des États « normaux », sont reléguées au rang d’anecdotes au Kosovo.
Mais ce ne sont pas ces « anecdotes » qui choquent le plus. Il arrive que certains ambassadeurs s’auto-attribuent plus que des pouvoirs de représentations. Le cas de l’ancien ambassadeur américain Christopher Dell est sans doute le plus éloquent. À plusieurs reprises, il est intervenu dans la politique locale. Il a activement soutenu (pour ne pas dire nommer) le multi-millionaire helvético-kosovar Bexhet Pacolli pour le poste de Président du Kosovo. Afin d’élire Bexhet Pacolli, Christopher Dell et son partenaire Hashim Thaçi (alors Premier-ministre) ont fait pression sur le Parlement en le forçant à un 4ème vote. Cette élection a par la suite été invalidée par la Cour Constitutionnelle, car si trois tours ne suffisent pas à élire un Président, la candidature est rejetée. Un échec de courte durée puisque l’ambassadeur a « nommé » avec le soutien de Hashim Thaçi et d’Isa Mustafa, l’actuelle Présidente Atifete Jahjaga (une policière inconnue dont le nom est sorti d’une enveloppe au dernier moment). Ajoutons à tout cela les privatisations, la politique agressive néolibérale et d’autres « anecdotes »…

La dernière anecdote s’est produite la semaine dernière. Les politiciens « d’Ambassadeurland » ont été mis sous pression depuis des mois pour faire voter la création d’un tribunal spécial pour le Kosovo [ancien article] par les « amis internationaux » (surnom affectueux donné par les « élites » locales et les médias). Mais le vendredi 26 juin 2015, l’Assemblée a dit non. Le projet d’amendement constitutionnel, qui devait permettre la création du tribunal qui jugerait les crimes de la guerre sur Kosovo sur une base ethnique, n’a pas obtenu le nombre de voix nécessaires. Il fallait obtenir le soutien des deux tiers du Parlement soit 80 votes favorables, or seuls 75 députés ont voté pour, 7 ont voté contre et 2 se sont abstenus. Les autres ont boycotté le vote. C’est sans doute un échec de courte pour l’Union européenne et les États-Unis et leurs « représentants ». Les représailles n’ont pas tardé. À la suite de cette séance, l’ambassadeur des Pays-Bas Robert Bosch a demandé la démission de la députée Albulena Haxhiu de Lëvizja Vetëvendosje! (Mouvement Autodétermination!) [vidéo Youtube – en anglais] pour n’avoir pas lu le rapport de la commission sur la législation. La vidéo, qui est très intéressante, montre bien l’arrogance des ambassadeurs étrangers et leur avis sur le Kosovo. Dans cette vidéo, l’ambassadeur (un mandataire nommé) dit vouloir expliquer à une député (élue par le peuple souverain) comment faire son travail. C’est une attitude bien néo-colonialiste, de la part de « démocrate » comme lui, est bien représentative des diplomates présents au Kosovo…
Mais il ne faut pas mettre la faute uniquement sur les ambassadeurs. Nous avons une part de responsabilité dans cette situation. Peu de personnes ont osé contredire les représentants étrangers. Peut-être est-ce à cause de notre vieille tradition servile que nous agissons ainsi ? Dominés par les Ottomans et les Serbes par le passé et aujourd’hui par les « internationaux », nous leur avons donné le bâton de la domination.

