Le choix entre le fascisme et l’aliment du fascisme…

En ce moment, il y a tout un tas de pompiers pyromanes qui appellent à voter massivement en faveur d’Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen et au Front National. Qu’ils se taisent ! La droite, une partie de la gauche et les médias ont de grandes responsabilités dans le succès du Front National !

Partout et depuis longtemps, on nous a parlé de la « dédiabolisation » du Front National. L’exclusion de Jean-Marie Le Pen, la « condamnation » des néo-nazis ont été présentées comme autant de signes du changement de discours du Front National qui est allé vers un discours plus nuancé, plus présidentiel. Avec Jean-Marie Le Pen, le Front National se contentait de troubler le jeu démocratique. Une déclaration par-ci, un détail par-là… Le 21 avril 2002 aurait été autant un choc pour la France que pour Jean-Marie Le Pen. Ce dernier aurait dit ne pas être prêt à gouverner, se contentant de faire fortune sur la détresse des Français. Avec Marine Le Pen, c’est différent. Le Front National de Marine Le Pen est devenu une machine de guerre électorale, qui a réellement l’ambition de gouverner la France. Fini les crânes rasés de papa, place aux costumes-cravates. Marine Le Pen n’est plus la candidate du Front National, mais celle du Rassemblement Bleu Marine. Plus de nom de famille controversé, plus de flamme bleu-blanc-rouge, inspirée du fasciste Mouvement Social Italien… Mais si le Front National a aujourd’hui un discours formaté et une équipe préparée, il garde toujours cette même idéologie qu’est le fascisme ! Étrange donc qu’après le XXe siècle, un tel parti frôle le pouvoir. Le succès du Front National ne peut pas être attribué au seul changement de discours prôné par le duo Marine Le Pen et Florian Philippot.

Le succès du Front National s’explique aussi par sa banalisation due à la droitisation du personnel politique et des médias. Si cette classe politique (de la droite dure jusqu’au centre « gauche ») et les médias n’avaient pas banalisé à ce point le Front National et ses idées en reprenant certains points de son discours, le Front National ne serait pas au second tour.

Cette banalisation a débuté sous Nicolas Sarkozy, qui a vu son prédécesseur gagner le 2ᵉ tour à 82 % face à Jean-Marie Le Pen ! Sous l’ère Sarkozy, la droite avait durci son discours en réduisant le débat politique au voile et au halal, et en créant même un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, dont l’idée phare n’aura été que de faire des tests ADN pour les regroupements familiaux ! De cette longue appellation ministérielle, on ne retiendra que « immigration » et « identité nationale ». Ainsi, la droite aura largement contribué à faire accepter aux citoyens l’agenda du Front National. Plus récemment, BuzzFeed [1] révélait que l’équipe rapprochée de François Fillon, premier ministre de Nicolas Sarkozy, était largement composée d’un bon nombre d’anciens membres de groupes identitaires comme le GUD (Groupe Union Défense).

Sous François Hollande, ça a été pareil. Lui qui avait été élu par défaut et surtout contre Nicolas Sarkozy, finira par faire du « sarkozysme ». Oubliée l’idée du droit de vote au niveau local pour les étrangers extra-européens qui résident depuis longtemps dans la commune du candidat François Hollande. Place au président François Hollande qui s’attaque au terrorisme avec le burkini et la déchéance de la nationalité (qui était une idée du Front National). De ces 5 ans de mandat, nous retiendrons que c’est sous un gouvernement « socialiste » que les libertés des Français ont été réduites par une loi sur le renseignement (loi Urvoas). Que c’est sous un gouvernement « socialiste » qu’un Adama Traoré est mort en prison. Que c’est sous un gouvernement « socialiste » que les travailleurs qui protestaient contre une loi travail ont été violemment réprimés, accusés d’être des terroristes et des preneurs d’otages. Que c’est un gouvernement « socialiste » qui a gouverné à coup de 49.3. Et que c’est un ministre du gouvernement « socialiste » et candidat à la présidence française qui a promis de gouverner par ordonnance « pour accélérer les choses »… Sans oublier que c’est un gouvernement « socialiste » qui est prêt à léguer l’état d’urgence au Front National…

Du côté des médias, si prompts à donner des leçons, la question de l’islam a largement été mise au centre du débat. Largement « débattue », elle revenait à chaque émission, à chaque une… Les unes des journaux et des magazines se remplaçaient les unes les autres et finissaient par se ressembler. Sous couvert de défendre la « laïcité », lorsqu’ils ne prétendaient pas carrément défendre « la civilisation européenne », les médias ont excité les pulsions islamophobes et racistes des Français. Les émissions du type « Enquête exclusive » ou les sondages du type « Estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France ? » ou encore « L’islam est-il compatible avec les valeurs de la République ? » ont largement contribué à banaliser le discours du Front National jusqu’à le rendre « acceptable » et partagé par beaucoup. Ainsi, l’idée d’un Le Pen au second tour est devenue possible, donnant à un bon nombre de politiciens l’espoir de faire comme Chirac, un deuxième tour facile. Ainsi, l’enjeu de cette élection a été réduit à savoir qui allait affronter Marine Le Pen, et cela depuis plusieurs mois ! Alors que les médias ne s’étonnent donc pas de voir, comme il y a 15 ans auparavant, un million de personnes faire barrage au Front National.

Cette entente tacite entre les pompiers pyromanes et le Front National est un cercle vicieux et dangereux. Pour appliquer les politiques du type Macron, c’est-à-dire les politiques libérales qui créent des inégalités, créent du chômage et détruisent ainsi les économies des pays, les gouvernements de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ont largement permis au Front National de se développer pour ensuite l’utiliser comme un épouvantail. De l’autre côté, pour s’agrandir, le Front National a utilisé les échecs de ces politiques et la détresse des gens pour qu’un jour, il dirige le pays.

Aujourd’hui, le Front National se trouve aux portes de l’Élysée et est une force politique qui compte. Il est désormais plus facile de s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon et aux électeurs de la France Insoumise qu’à Marine Le Pen et ses électeurs. Marine Le Pen avait beau être toujours qualifiée au second tour dans les sondages, il aura fallu la remontée de Jean-Luc Mélenchon pour que François Hollande intervienne et apporte son soutien à Emmanuel Macron. Désormais, le danger est à gauche. Les électeurs de François Fillon, qui sont plus susceptibles de voter Marine Le Pen, comme ceux de Marine Le Pen, sont oubliés, car ce sont les Insoumis qui mettent en danger la République par leur jeu du « ni-ni »…

Alors, au lieu d’appeler les citoyens à donner la « bonne réponse » le 7 mai, ces pompiers pyromanes devraient plutôt poser les bonnes questions !


Notes :
[1]
Article BuzzFeed : « Ex du GUD, ex-FN, anti-IVG: on a scruté la garde rapprochée de Fillon« 

Sinon, vous pouvez aussi lire le billet de Frédéric Lordon  : De la prise d’otages.